Ottawa , 31 juillet 2020

Lettre ouverte du Conseil canadien de la magistrature à la population canadienne

Le Conseil canadien de la magistrature est l’organisme qui encadre les juges de nomination fédérale au Canada. Il s’agit des juges des cours supérieures et des cours d’appel. Ils sont plus de 1 200 juges au Canada.

Le Conseil est chargé de statuer sur toutes les plaintes concernant la conduite des juges de nomination fédérale. Il reçoit environ 700 plaintes chaque année. Chacune d’elles est prise au sérieux et traitée avec soin et délicatesse afin que les résultats soient conformes à l’intérêt public. Ces dernières années, le Conseil a apporté des améliorations au processus, en faisant participer notamment des non-juristes (ni avocats ni juges).

La tâche est rarement simple. Chaque fois, nous sommes appelés à chercher un équilibre afin d’être justes envers le juge et être réceptifs envers l’auteur de la plainte. Voici deux exemples parmi tant d’autres :

  • Après avoir supporté l’énorme fardeau d’un procès rempli d’émotions fortes, les parties au litige doivent attendre anxieusement que le juge rende sa décision. L’attente finit par être de neuf mois, soit trois mois de plus que les délais recommandés par le Conseil. Lorsque nous demandons des explications au juge, nous apprenons que celui-ci est complètement débordé de travail, devant siéger toute la journée, ce qui lui laisse ses soirées et ses congés de fin de semaine pour tenter de rédiger ses jugements. Le juge regrette profondément le retard et présente ses excuses en toute sincérité aux plaignants.
  • Un excellent juge a eu une mauvaise journée, comme il nous arrive à tous. Les émotions sont intenses et le juge, afin de maîtriser une situation très difficile, dit quelque chose de regrettable. Il se répand immédiatement en excuses très sincères. Il reste que la peine éprouvée par la partie visée est énorme.

Le Conseil s’occupe judicieusement de ce type de situation jour après jour. Ce faisant, nous n’oublions jamais l’énorme confiance qui nous est faite – confiance enracinée dans l’impératif constitutionnel voulant que les juges ne soient jamais exposés à des influences externes. Cela implique entre autres l’obligation de ne jamais être à la merci du gouvernement ou de quelque autre institution en délibérant sur des questions de conduite. Cela veut dire que seuls des collègues de la magistrature ont le pouvoir de statuer sur de telles plaintes. Telle est la mission principale du Conseil. Dans l’exécution de cet important mandat, nous ne perdons jamais de vue le fait que le public doit avoir confiance en notre détermination de donner suite entièrement et équitablement à toutes les plaintes. Nous ne devons jamais laisser l’impression que nous ne faisons que nous protéger entre nous.

Le Conseil est très fier de cet aspect de sa mission.

Cependant, dans les rares cas où la conduite d’un juge serait suffisamment fautive pour mériter la révocation de celui-ci, le Conseil peine à travailler dans un cadre législatif gravement défectueux. Cet aspect du processus, qui consiste en une enquête approfondie suivie d’une recommandation de révocation que le Conseil fait au ministre de la Justice, est contraire à l’intérêt public. C’est pourquoi le Conseil a pressé les gouvernements successifs à instaurer les réformes nécessaires.

Plus particulièrement, au cours de la dernière décennie, nous avons tous été témoins d’enquêtes publiques qui se sont éternisées et se sont avérées beaucoup trop coûteuses. Nous avons été témoins de demandes incalculables de contrôle judiciaire visant tous les aspects possibles du processus. Ces demandes ont été énormément onéreuses en temps, en argent et en efforts pour nos tribunaux fédéraux. De plus, tous ces coûts, y compris les dépenses occasionnées par le juge qui est au cœur de l’enquête, sont pris en charge par les contribuables. Le juge en cause continue de recevoir la totalité de son traitement et de ses prestations de retraite pendant que le temps s’écoule. Cela donne l’impression que le juge tire profit de ces délais. Le problème est systémique plutôt qu’individuel : problème systémique qui, disons-le franchement, va à l’encontre de l’intérêt public et de l’accès à la justice

Depuis maintenant plus d’une décennie, le Conseil a supplié les gouvernements successifs de corriger ce problème. En 2013, le Conseil a lancé une consultation publique afin que la population canadienne puisse se faire entendre sur les améliorations possibles à apporter au processus. Cette démarche a abouti à des mesures de rationalisation et à un meilleur rendement. Cependant, ces efforts étaient confinés aux paramètres de notre règlement interne sans pouvoir remédier  à la source législative des problèmes.  La véritable solution passe par la réforme législative que le Conseil persiste si ardemment à réclamer.

Depuis qu’il est devenu juge en chef du Canada en décembre 2017, le président du Conseil, le très honorable Richard Wagner, tout en restant à l’écart des dossiers individuels de conduite, s’est engagé à militer en faveur de cette réforme législative si nécessaire. Ses efforts ont, de fait, été reconnus par le premier ministre du Canada, qui, dans sa lettre de mandat du 13 décembre 2019 au ministre de la Justice, lui confiait notamment la responsabilité suivante :

« Élaborer des propositions concernant la réforme du système de gouvernance judiciaire et du processus disciplinaire de la magistrature ».

Notre président a collaboré avec l’Association canadienne des juges des cours supérieures pour presser davantage le gouvernement actuel à instaurer les changements législatifs nécessaires.

En janvier de cette année, ces efforts ont produit des résultats lorsque, au terme de bien des efforts ainsi que de multiples accommodements et compromis mutuels, l’Association et le Conseil (en collaboration avec le ministère de la Justice) sont parvenus à une entente sur tous les aspects principaux d’un nouveau projet de réforme. De plus, le Conseil et l’Association ont convenu de présenter des propositions séparées au ministère sur toute autre question connexe. O pouvait s’attendre à ce que la suite législative de ce consensus loi afférente soit mise de l’avant sans délai par le gouvernement. En fait, n’eussent été les complications entraînées par l’éclosion de la COVID 19, la loi souhaitée serait sans doute en place à l’heure actuelle.

Il est urgent que cette  réforme soit adoptée, et le Conseil a pressé sans cesse le gouvernement d’y voir. Nous sommes convaincus que l’ensemble de la population canadienne sera sensible à l’importance et à la nécessité de la chose.

Le Conseil continuera d’œuvrer au maintien et à l’amélioration de la qualité des services judiciaires fournis par nos tribunaux.

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