1 janvier 1992

Exemples de plaintes reçues durant l'année 1992-1993

Plainte 1

Un plaignant a protesté contre des délais de cinq et de six mois pour trancher des requêtes en jugement sommaire.  Le plaignant a déclaré avoir à plusieurs reprises demandé au juge d'accélérer le processus et fait valoir que l'inaction judiciaire avait «gravement mis en péril ses droits et recours».

Le juge a présenté des excuses et invoqué sa lourde charge de travail pour expliquer le retard.  Il n'a pas eu connaissance des demandes d'accélération du processus décisionnel présentées par le plaignant, mais il a déclaré que s'il en avait été avisé, il aurait produit ses jugements plus rapidement.  Le président a conclu que la nature du retard ne justifiait pas un examen plus approfondi de la part du Conseil.

Plainte 2

Dans un autre dossier, le plaignant qui était partie à une action immobilière a fait valoir que le juge avait mis trop de temps à prononcer les motifs d'un jugement oral.  Pour pouvoir exercer son choix d'interjeter appel de la décision du juge, le plaignant avait besoin des motifs, qui ont finalement été produits au-delà d'un an plus tard.  Le plaignant demandait des explications de même qu'une indemnisation pour le retard.

Le juge a déclaré qu'il était regrettable qu'il n'ait pas prononcé ses motifs plus rapidement.  Il a expliqué le retard par une lourde charge de travail, et ajouté n'avoir reçu aucune indication de l'urgence d'obtenir les motifs de la part des parties en cause. Dans sa réponse au plaignant, le président a déclaré qu'il était regrettable que le prononcé des motifs du jugement ait été reporté si tard, tout en précisant qu'il est du ressort des avocats, lorsque leurs clients risquent de souffrir de l'absence des motifs, de porter le retard  à l'attention du juge par l'intermédiaire du greffe de la cour, ce qui n'avait pas été fait en l'espèce.  Le président a conclu qu'il n'y avait pas matière à examen plus approfondi et souligné que le Conseil n'était pas habilité à accorder quelque compensation.

Plainte 3

Une plaignante prétendait que le juge avait fait preuve de sexisme à l'endroit de victimes d'agressions sexuelles par «l'insensibilité et l'agressivité» qui marquaient sa façon de l'interroger.  La plaignante prétendait que le juge n'avait pas voulu entendre toute la preuve dans sa cause en lui enjoignant de ne répondre que par un oui ou un non, et qu'il l'avait interrompue à plusieurs reprises.

Le juge a nié toute allégation de sexisme, mais il a déclaré avoir, à l'occasion de la plainte, discuté de la question avec le procureur de la Couronne dans cette affaire et avoir appris qu'il donnait parfois l'impression d'être partial.  Le juge s'est excusé auprès de la plaignante et a promis de modifier son comportement.

Plainte 4

Dans un deuxième dossier, un certain nombre de plaignants ont fait valoir qu'un juge avait fait preuve de sexisme à l'endroit des femmes en condamnant à une sentence «dont la légèreté est ahurissante» une personne reconnue coupable d'agression sexuelle. 

Le président a expliqué le principe du pouvoir discrétionnaire du juge en matière d'établissement de la peine, et souligné que si la sentence était trop légère, il incombait à la Couronne d'interjeter appel.

Plainte 5

Dans une affaire où la garde de leur jeune fille avait été accordée à son épouse, le plaignant a accusé un juge de sexisme en faveur des femmes.  Le plaignant ne s'est pas opposé à la décision du juge, mais il a prétendu que celui-ci avait «un ensemble de règles pour les femmes et un ensemble de règles pour les hommes.»  Le plaignant a aussi refusé d'être mis au rang des pères qui ne se soucient pas de leurs filles ou des hommes qui maltraitent leur femme et leurs enfants.

On a indiqué au plaignant qu'il n'avait pas d'éléments de preuve pour appuyer son accusation de sexisme à l'endroit des hommes.  On lui a en outre indiqué que s'il estimait que le juge avait commis une erreur dans sa décision à l'égard de la garde de son enfant, il lui était loisible d'en appeler devant une cour d'appel, seule instance habilitée à en juger.

Plainte 6

Selon un plaignant, un juge était en conflit d'intérêts en entendant une affaire engageant la force policière municipale, du fait qu'il avait déjà été commissaire de la police. 

On a répondu au plaignant qu'il n'existait aucune appréhension raisonnable de partialité et, partant, aucun fondement qui puisse justifier la tenue d'une enquête.

Plainte 7

Dans une autre affaire, une plaignante a prétendu que le juge était en conflit d'intérêts parce qu'il avait été une connaissance de sa famille pendant un certain nombre d'années et qu'elle l'avait consulté à plusieurs reprises au sujet de son action. 

Le juge a nié ces allégations, en faisant remarquer qu'il connaissait superficiellement la plaignante depuis un certain nombre d'années, mais qu'il n'avait jamais discuté de cette question avec elle, sauf pour lui conseiller d'en parler à son avocat lorsqu'elle l'a questionné sur le temps qui serait nécessaire pour instruire la cause.  Le président a déclaré que la plainte était «dépourvue de tout fondement» et ajouté que la réplique du juge avait répondu intégralement aux allégations.

Plainte 8

Un plaignant a allégué qu'un juge avait rendu sa décision sans avoir lu les transcriptions d'un interrogatoire préalable qui avait été produit en preuve. 

Le juge a reconnu la véracité de cette allégation et présenté des excuses.  Il a toutefois fait remarquer qu'après avoir lu les transcriptions pour présenter ses commentaires, à la demande du président, il avait conclu que leur contenu n'aurait pas entraîné une autre décision.  En fermant le dossier, le président a exprimé sa désapprobation à l'égard de la conduite du juge.

Plainte 9

Une immigrante jamaïquaine reçue ayant plaidé coupable à l'accusation d'avoir importé des stupéfiants a prétendu qu'un juge avait abusé du processus judiciaire en changeant d'idée quant à l'établissement de sa peine, ce qui lui avait été source d'angoisse.  La plaignante a affirmé que le juge lui avait d'abord proposé de quitter volontairement le pays avec ses enfants plutôt que d'en être séparée pendant son emprisonnement, puis qu'il avait par la suite changé d'idée en lui imposant une peine de cinq années de prison.  Dans les commentaires qu'il a fait parvenir au président, le juge a déclaré avoir examiné avec les avocats diverses hypothèses de peines innovatrices susceptibles de réduire ou d'éviter la période de séparation entre la plaignante et ses enfants.  Après mûre réflexion et prise en considération des principes généraux de dissuasion, il a condamné la plaignante a une peine d'emprisonnement suivie de mesures d'expulsion.

Des demandeurs francophones dans des poursuites intentées au Québec se sont plaints du fait que des motifs de jugement étaient rendus en anglais.  On leur a expliqué que le juge peut employer la langue officielle de son choix lorsque la procédure se déroule dans les deux langues.  En l'espèce, la défense avait présenté ses observations en anglais.  On a rappelé aux plaignants que le jugement pouvait être traduit sans frais s'ils le désiraient.  Cette remarque leur avait été faite précédemment, au moment du prononcé du jugement.

Plainte 10

Selon une plainte, un juge avait reporté son jugement dans une affaire instruite en 1989.  Le plaignant a déclaré avoir reçu en juillet 1991 l'assurance que le jugement serait rendu dans les six semaines suivantes.  Trois mois plus tard, cependant, aucune décision n'avait encore été rendue et pour le plaignant, «le silence est accablant».  Selon ce dernier, l'ancien adage «justice qui se fait attendre emporte déni de justice» pouvait s'appliquer à l'espèce; il s'est plaint du fait que la lenteur du jugement ait pu compromettre toute la procédure en risquant de contrevenir à la Charte canadienne des droits et libertés, «à savoir au droit d'être jugé dans un délai raisonnable.»

Même si le jugement a été rendu peu de temps après que le président eut demandé les commentaires du juge et de son juge en chef, la plainte a été renvoyée au Comité siégeant en séance plénière étant donné l'adoption par le Conseil, en 1985, d'une résolution portant sur les délais pour rendre des jugements pris en délibéré.  Cette résolution portait que «le Conseil est d'avis que jugement devrait être rendu dans les six mois qui suivent l'audience, sauf en cas de circonstances particulières, et que tous les Juges en chef devraient distribuer à leurs juges la liste des causes prises en délibéré.»

Il est ressorti de l'enquête effectuée par le Comité que le juge avait pris quatre autres jugements en délibéré, qui avaient dépassé le délai de six mois recommandé dans la résolution de 1985.  Le Comité a avisé le juge et son juge en chef qu'il s'agissait d'une question extrêmement grave qui pouvait appeler une enquête approfondie si elle n'était pas résolue.  Le juge a pris sa retraite, mais non sans avoir au préalable rendu les jugements avant l'expiration du délai prévu par les dispositions législatives applicables à l'égard des jugements pris en délibéré.

Dans la réponse qu'il a donnée au plaignant, le Comité a déclaré que le juge aurait dû rendre sa décision dans les six mois de l'audience, comme le prévoit la résolution du Conseil.  «Il est déplorable que ces suggestions n'aient pas été suivies en l'espèce.»

Plainte 11

Un avocat a prétendu qu'un juge avait manifesté un problème «apparent d'attitude et de conduite» à l'égard des avocats, à la fois en audience et en chambre.  La plainte portait sur deux incidents.  Dans le premier cas, le juge aurait «réprimandé» le plaignant, ainsi que l'avocate de l'autre partie, à propos des règles de la Cour en matière d'échange des mémoires préliminaires. Le plaignant a affirmé avoir eu par la suite une autre «altercation» avec le juge en chambre, qui l'a forcé à mettre rapidement fin à sa rencontre avec le juge.  Selon le plaignant, le juge «ne semble pas bien comprendre le processus ou sa fonction à l'intérieur de celui-ci».

Le Comité a conclu que le comportement du juge en audience comme en chambre dénotait un manque de respect envers les avocats.  Il a déclaré au plaignant qu'il semblait que le juge avait choqué des membres du Barreau et que cela était «très regrettable».  Toutefois, a-t-il précisé au plaignant, en dépit du fait que le comportement du juge était regrettable, cela ne constituait pas un manquement suffisant pour justifier la tenue d'une enquête officielle.

Plainte 12

Un dossier a été ouvert lorsqu'un plaignant s'est plaint des déclarations contenues dans les motifs d'un jugement, auxquels ont souscrit deux autres juges, dans une affaire de violence conjugale portée en appel devant une Cour d'appel provinciale.  Le jugement décrivait la violence conjugale visée dans l'appel comme une matière qui n'aurait même pas dû donner lieu à un procès.  Le jugement comportait une critique à l'endroit des politiques gouvernementales qui visaient la «tolérance zéro» en matière de violence familiale.

Selon le plaignant, en dépit des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le juge «cherche à annuler cette politique, en raison non d'une règle de droit de son ressort, mais bien de ses propres opinions personnelles et de l'éducation qu'il a reçue.» Le plaignant a en outre déclaré que les interprétations que le juge faisait de ses propres citations semblaient «incorrectes et dangereuses.»  Si les interprétations du juge étaient fondées, «toute loi, toute politique ou tout règlement d'une législature élue serait susceptible d'examen et d'abrogation par un juge de première instance.» 

Après avoir examiné la plainte, le Comité a dit au plaignant que la question était susceptible d'être portée en appel devant une instance supérieure.

Plainte 13

La plaignante, qui enseigne le droit, était scandalisée par les commentaires qu'un juge avait faits lors d'une conversation au cours d'un repas dans le cadre d'une conférence.  Selon elle, le juge «a donné l'impression de ne pas être lié par des considérations professionnelles et humanitaires» et, généralement, de ne pas s'acquitter sérieusement de ses obligations judiciaires.

La plaignante a prétendu avoir entendu le juge dire qu'il ne s'intéressait pas au sujet de la conférence, qu'il ne songeait jamais aux conséquences que ses décisions peuvent entraîner pour les parties et que «le chèque de paie» constituait sa seule motivation à demeurer juge.  La plaignante a aussi prétendu avoir entendu le juge dire que les cours de sensibilisation des juges au phénomène du sexisme n'étaient que de la «propagande».

Dans sa réponse, le Comité a exprimé à la plaignante qu'il regrettait les propos du juge qui l'avaient inquiétée et il a affirmé que, par suite de la plainte, le juge serait peut-être plus conscient de l'effet de ses remarques sur autrui.

Plainte 14

Le procureur général d'une province a déposé une plainte visant un juge dont les propos seraient de nature sexiste et raciste.  La plainte a été déposée au moment où le gouvernement provincial intéressé émettait des directives et des lignes directrices visant à éliminer les commentaires sexistes et racistes de cette nature.

Le Comité a demandé à un avocat indépendant de procéder à une enquête lorsqu'il est devenu manifeste que le juge ne se rendait pas compte de l'inconvenance de sa conduite.  L'avocat a rapporté que le juge avait fait de tels commentaires pendant nombre d'années et qu'il ne les jugeait pas inconvenants ou incorrects.  L'avocat a déclaré que le juge ne manifestait pas d'intention mauvaise au moment où il a fait les commentaires, et souligné que le juge déclarait regretter avoir fait les commentaires et s'engager à s'abstenir de faire de tels commentaires à l'avenir.

Dans une lettre adressée au Conseil, le juge a reconnu que ses commentaires avaient choqué certaines personnes.  «J'ai fait erreur en agissant ainsi... cette expérience m'a puni et m'a instruit.  Je suis bien prêt et apte à m'abstenir de faire de tels commentaires à l'avenir».

Un sous-comité de trois membres a été constitué pour examiner les conclusions tirées par l'avocat.  Il a abondé dans le sens des recommandations de l'avocat qui concluait qu'il n'y avait pas lieu de demander la révocation du juge.  Dans une lettre adressée au juge, le sous-comité a écrit que le juge donnait l'impression de considérer ses commentaires comme du «badinage inoffensif visant à mettre à l'aise les justiciables au moment de leur premier contact avec un juge ou une austère salle d'audience».  Le sous-comité a toutefois fait savoir au juge que le mode général de comportement qu'il avait adopté était «inadéquat et tout simplement inacceptable» de la part du titulaire d'une fonction judiciaire.

Plainte 15

Au cours de l'année, un sous-comité du Comité sur la conduite des juges a renvoyé une plainte au Conseil siégeant en séance plénière.  Selon un juge en chef, il existait des raisons de croire qu'un membre de sa cour était devenu «inapte à remplir utilement ses fonctions pour des motifs d'âge ou d'invalidité.»  Après avoir reçu les commentaires du juge en cause à ce sujet, le président du Comité sur la conduite des juges a renvoyé la question à un sous-comité de trois membres du Comité.  Le sous-comité a rapporté au Conseil qu'il existait suffisamment de motifs pour justifier la tenue d'une enquête du Conseil sous le régime du paragraphe 63(2) de la Loi sur les juges.

Après avoir examiné le rapport du sous-comité et les observations écrites du juge, le Conseil a conclu qu'il y avait lieu de procéder à une enquête officielle.  Il a constitué un comité d'enquête composé de trois de ses membres.  À la fin de l'année, le Conseil attendait de savoir si le ministre de la Justice du Canada entendait exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 63(3) de la Loi et ajouter un ou plusieurs membres du Barreau au comité d'enquête.  C'est la première fois de l'histoire du Conseil qu'un comité d'enquête est formé pour examiner une allégation portant qu'un juge peut être «inapte à remplir utilement ses fonctions pour des motifs d'âge ou d'invalidité.»

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