1 janvier 1990

Exemples de plaintes reçues durant l'année 1990-1991

Plainet 1

Une des plaintes concernait un juge empêché par son état de santé de s'acquitter de toute la gamme des fonctions judiciaires, notamment de présider des procès ou d'entendre les parties en son cabinet.

Ce juge a toutefois tout son esprit.  Il est capable, et c'est ce qu'il fait, de s'occuper de dossiers n'exigeant pas d'audition, par exemple, il révise et tranche les affaires qui ne nécessitent pas, de toute façon, la présence des parties. Le Conseil a tiré la conclusion suivante : puisque ce juge participe au travail de sa cour, on n'a pas établi à première vue qu'il y a lieu de recommander sa révocation; par conséquent, il n'existe aucun fondement pour entreprendre une enquête officielle.

Plainet 2

La plainte alléguait qu'au cours de l'instruction d'un appel, le juge avait qualifié la loi pertinente de "fasciste".

Ce dossier a forcé le comité à bien jauger son pouvoir de commenter les déclarations ou la conduite d'un juge puisque le juge contestait le pouvoir du Conseil «de prononcer une réprimande publique ou de désapprouver ma conduite autrement qu'au moyen d'une recommandation visant ma révocation».

Il est bien clair que le texte de la Loi sur les juges ne donne pas au Conseil, encore moins à un comité ou au président d'un comité, le droit de «réprimander» ou d'«admonester» les juges.

De façon générale, le Comité ne s'oppose pas aux droits d'un juge, d'abord de se faire une opinion, et ensuite de l'exprimer avec vigueur.  Ces droits sont inséparables du principe de l'indépendance judiciaire.  Si les commentaires d'un juge compromettent l'issue du procès, ils constituent une erreur de droit qui peut fonder un appel devant un tribunal supérieur.

Toutefois, le Comité a affirmé son droit de poursuivre la pratique, déjà bien établie, de dire aux plaignants comme aux juges visés sa façon de penser sur les commentaires ou la conduite qui ont donné lieu à la plainte.  Cette pratique est importante pour au moins deux raisons :

  • elle peut contribuer à donner aux plaignants une compréhension raisonnable des motifs qui sous-tendent la décision du Comité;
  • elle permet au juge de savoir comment les commentaires ou la conduite qui ont donné lieu à la plainte sont perçus par d'autres juges, ce qui peut lui être utile.

Dans ce dossier, le Comité a bien informé les deux plaignants et le juge qu'il désapprouvait le langage de ce dernier.

Plainet 3

Le plaignant a soutenu que le commentaire fait par un juge à un avocat au cours d'une conversation qui a eu lieu à l'extérieur de la salle d'audience, révélait soit du racisme, soit un préjugé selon lequel les gens qui avaient eu des démêlés avec la justice dans le passé n'avaient pas droit à une défense aussi vigoureuse que les autres.

Bien qu'il ne puisse se souvenir précisément d'avoir fait ce commentaire, le juge a reconnu que c'est bien le genre de propos qu'il aurait pu tenir en pareille circonstance.

Il a toutefois nié catégoriquement avoir été motivé par du racisme ou par un système fondé sur deux poids, deux mesures.  Il a prétendu qu'il aurait plutôt été préoccupé par les efforts que ce jeune avocat devait consacrer à un seul client autochtone : «Je pensais qu'il s'impliquait beaucoup trop dans une affaire donnée au détriment de sa pratique professionnelle.»

Selon le Comité, rien n'indiquait que ce juge rend des jugements qui pêchent contre l'égalité.  Le Comité a toutefois avisé le plaignant et le juge qu'il considérait la remarque "malencontreuse" même si elle avait été faite dans un contexte non judiciaire.  Il a transmis au plaignant les regrets exprimés par le juge.

Plainet 4

Un avocat a présenté les déclarations de trois personnes prétendant notamment que le juge, dans un bar public et manifestement sous l'effet de l'alcool, avait discuté d'affaires dont il avait été saisi.

 

En raison de la gravité des allégations, le Comité a confié à un avocat (d'une autre province) la tâche de procéder à un examen indépendant des faits.

L'avocat a conclu que trois des six allégations distinctes qui se trouvaient dans les déclarations ne pouvait être prouvées dans les faits.

Même si aucun élément de preuve n'établissait que la consommation d'alcool par le juge nuisait à son travail ou qu'il avait la réputation de discuter d'affaires à l'extérieur du tribunal, l'avocat a conclu que le juge avait, dans ce cas, discuté d'une affaire à l'extérieur du tribunal avec l'une des parties et avec un fonctionnaire de la Cour, et qu'il avait débattu d'une autre affaire avec une personne susceptible de s'y intéresser pour des raisons personnelles.

Dans sa réponse au rapport d'enquête, le juge a reconnu sa faute et déclaré qu'il «regrettait profondément» sa conduite. À la demande du Comité, il a également fourni un rapport médical indiquant qu'il n'a pas de tendance à l'alcoolisme.  Tout en déclarant s'attendre à ce que de tels incidents ne se reproduisent plus, le Comité a conclu qu'il ne servirait à rien de mener une enquête officielle; il a cependant indiqué au juge que les membres du Comité «désapprouvent votre conduite et regrettent beaucoup que l'incident ait eu lieu».

Plainet 5

La victime de voies de fait et un organisme ont tous deux présenté des plaintes à l'égard d'un juge qui, après avoir conclu qu'il y avait eu provocation sans que cela ne constitue un moyen de défense à l'accusation, a tenu compte de ce fait dans la détermination de la peine.  Il a imposé une amende au prévenu, le mari de la victime à cette époque, plutôt que de le condamner à une peine d'emprisonnement.

Selon le juge, la victime s'était attirée les voies de fait en mettant un chandail sur lequel figuraient des animaux en positions d'accouplement, avec l'intention de le porter au cours d'une fête pour se venger du refus de son mari de l'accompagner à une autre réunion.

La victime a allégué que «le fait pour le juge d'insinuer que j'encourageais la promiscuité et que je laissais craindre l'adultère est personnellement offensant et sexiste.  Si l'attitude du juge [nom] est typique de celle de nos juges, alors il faudra attendre longtemps avant que disparaisse la license implicite accordée aux hommes de battre et de molester les femmes.»

Après un vif débat, le Comité a décidé de ne pas exprimer sa désapprobation de la décision du juge, puisqu'il s'agissait d'une question qui pouvait être portée devant la Cour d'appel.  Il a souligné ce qui suit à la plaignante :

Les juges sont toujours appelés à tirer des conclusions de fait, souvent strictement sur des questions de crédibilité.  Des conclusions de fait controversées exigeront nécessairement d'être exprimées et expliquées de façon détaillée, et elles peuvent à l'occasion attaquer le caractère des parties... Même si cela peut se révéler difficile pour les parties touchées, il n'en demeure pas moins que le juge a pour tâche de tirer ces conclusions de fait et de les expliquer.

Dans cette affaire, la peine a effectivement été portée devant la Cour d'appel qui, à la majorité, a conclu que le juge avait commis une erreur de droit en mettant trop l'accent sur la provocation.  La Cour d'appel a substitué une peine d'emprisonnement de 60 jours à l'amende imposée par le juge.

Plainet 6

Dans un cas, on reprochait au juge d'avoir fait preuve de discrimination au détriment des hommes.  Celui-ci a reconnu dans sa réponse à la plainte qu'en imposant à une femme une peine d'emprisonnement de 12 mois pour détournement de fonds, il avait déclaré que s'il s'était agi d'un homme dans les mêmes circonstances, il aurait imposé une peine de 18 mois.

Je me serais exprimé de façon plus exacte si j'avais dit que j'éprouve beaucoup de difficulté à condamner qui que ce soit à une peine d'emprisonnement, mais que ma difficulté est encore plus grande lorsqu'il s'agit de personnes du sexe féminin...

Je serais le premier à dire que, en attribuant un degré différent d'importance à des facteurs atténuants fondés uniquement sur le sexe, je fais montre d'un préjugé.  Je crois toutefois qu'il s'agit d'un préjugé qui est partagé par la vaste majorité des Canadiens.

Il s'agissait d'un des nombreux cas où le recours approprié est un appel, mais le président du Comité de la conduite des juges a néanmoins exprimé son désaccord sur l'opinion du juge.

Plainet 7

Une plainte, fondée sur une sentence prononcée dans une affaire d'agression sexuelle, demandait qu'on ordonne au juge de suivre des cours sur l'effet des agressions sexuelles sur les victimes.  Le Conseil a fait de la question de l'égalité des sexes un sujet de base de ses colloques d'été, et le plan du cours comprend la question de l'agression sexuelle.

Dans une autre affaire, le juge, qui entendait une requête visant à modifier une ordonnance de libération sous caution pour permettre à un accusé de voies de fait contre sa femme et d'autres de fêter Noël à la maison, a déclaré : «si elle est prête à endurer ces coups, je ne vois pas pourquoi je devrais me faire du souci».

En réponse à la plainte, qui provenait d'un organisme de services sociaux et non de la femme, le juge a déclaré ce qui suit :

J'essayais de lui faire comprendre que si elle et les enfants voulaient vraiment le revoir et qu'elle n'avait pas peur de lui, alors j'estimais que nous devrions accueillir sa requête.  Malheureusement, je ne me suis pas exprimé d'une façon qui transmettait convenablement le message, et je le regrette.

Cette explication a été communiquée au plaignant, accompagnée de la reconnaissance par le président que la remarque était «regrettable».

Plainet 8

Un juge, qui voulait complimenter une femme pour tout le travail qu'elle abattait, a dit au cours d'un dîner qu'elle était la sorte de personne qu'il aurait aimé fréquenter lorsqu'il était jeune puisqu'elle ne disait jamais non.  Quelqu'un dans l'assistance, non la femme visée, a présenté une plainte fondée sur le sexisme.

Dans la réponse qu'il a donnée au plaignant, le juge a reconnu que la remarque était «regrettable» et «inopportune», aveu auquel a souscrit le président du Comité.

Plainet 9

Dans un autre dossier, un avocat qui se trouvait dans la salle d'audience au moment en cause s'est plaint d'une plaisanterie sur les "belles-mères" faite par un juge au cours d'un échange avec un procureur de la Couronne. 

Le juge a répondu ce qui suit : «Je regrette le commentaire que j'ai fait et je reconnais qu'il s'agissait d'une tentative inconsidérée et inopportune d'être drôle.»

Plainet 10

Dans une plainte, par exemple, on faisait valoir pour l'essentiel que les juges du procès et de l'appel avaient accepté le témoignage de certains témoins et non celui d'autres témoins.  La tâche d'apprécier la preuve est justement l'une des fonctions pour lesquelles les juges sont rétribués. 

Dans cette affaire, le plaignant a été informé du fait que, de toute façon, le Conseil n'avait pas pour mission de réviser les décisions judiciaires.  Le recours approprié, le cas échéant, était un appel à la Cour suprême du Canada.

Plainet 11

L'une d'entre elles a été portée à l'égard de certains juges qui oeuvrent au sein d'un organisme en donnant des conseils à la fois à des avocats et à d'autres juges, notamment en matière d'abus de l'alcool.  Le plaignant a prétendu que ceux-ci se mettent en situation de conflit d'intérêts parce qu'ils conseillent des personnes qui peuvent être appelées à comparaître devant eux.

Les juges ont répondu que s'il y avait conflit, ils se recuseraient et confieraient l'affaire à un autre juge, et le juge en chef a rapporté connaître au moins une affaire où cela s'était produit.  Les juges ont affirmé que les responsables du milieu juridique étaient au courant de leurs activités et qu'ils n'avaient jamais exprimé d'inquiétude à ce sujet.

Plainet 12

Dans une autre affaire, un juge avait tranché une question de procédure liée à des audiences sur l'avortement sans avoir divulgué ses liens antérieurs, à titre d'avocat, avec un organisme qui luttait contre l'avortement.

En soulignant que la décision qu'il avait été appelé à rendre portait sur un point de droit restreint, très éloigné de la question de fond de l'avortement, le juge a affirmé que ses liens avec l'association étaient si ténus et remontaient si loin dans le temps qu'il les avait complètement oubliés.  S'il s'était rappelé de ces liens, il en aurait fait la divulgation et il n'aurait poursuivi qu'avec le consentement des deux parties.

La question soulevée par la plainte pouvait certainement être portée devant une cour d'appel, ce qui fut fait.  La décision a été renversée en partie, sans que l'issue finale ne soit modifiée.

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